[Bars, Cafés et Restaurants]Rien que pour passer le temps. (Faolan)

Une soirée comme les autres... Une soirée où il ne se passait rien de bien trépignant, si ce n'était que les gens sortaient et entraient comme si de rien n'était dans le bar que venait de quitter Reinhart. Un bar comme les autres, sauf que celui-là pourrait être une cible de choix, une cible idéale pour les ambitions pécunières. En somme, pour un concert possible de la personne qu'il manageait. Constantin pourrait aimer comme ne pas aimer ce bar pour chanter. Un rien capricieux ce vampire là... et dire qu'il était obligé de le servir depuis qu'ils s'étaient croisés au détour d'une rue.

*Par l'enfer, j'aurai dû l'occire ce jour là. Pourquoi je n'ai pas appuyé sur la détente cette nuit là ? Et même à la plus récente ? Rhâ !*

Il enrageait encore. Bon au moins, il y avait un bon côté des choses, il gagnait un peu sa vie grâce à cet empôté caractériel. Quand Monseigneur voulait, tout marchait sur des roulettes, mais quand il n'était pas content, Reinhart devait presque prendre des gants, et il détestait cela. Heureusement, les coups d'éclats étaient rares. Après tout, les deux vampires trouvaient leur intérêt dans un goût commun : la musique. Heureusement qu'il restait encore cela dans ce monde morne.

Adossé contre le mur à une dizaine de mètres de la double entrée du chic bar, Reinhart venait de s'allumer une cigarette, une de ces manies qui restaient de son ancienne vie de vivant. Après tout, il ne risquait plus de mourir de cancer. Durant la guerre, il se souciait plus du risque de se prendre une balle que de mourir les poumons atteints des ramures du cancer. Et encore à cette époque, on n'en faisait pas tout un savon... C'était bien plus tard qu'on avait associé la maladie à l'usage nocif du tabac. Mais aujourd'hui, pour l'Allemand, ce n'était plus son soucis majeur. Autre chose pouvait le tuer aujourd'hui. D'ailleurs il en souriait presque avec ironie... Même en tant que vampire, jouissant de la jeunesse éternelle, il pouvait encore clasmer.

Le bout de sa cigarette s'illumina d'une forte lueur vive et rouge orangée, alors qu'il tirait dessus. Au moins, il pouvait encore apprécier le goût âcre et piquant de la fumée qu'il avalait. Puis il soupira. Il se demandait ce qu'il allait bein faire ce soir. Ce bar était prometteur et la clientèle qui y passait être dans la normalité. De quoi faire un chiffre d'affaire classique en deux trois passages. Mais si Constantin faisait des siennes, Reinhart pourrait dire adieu à un passage futur. Le gérant était très sélecte.

Toujours en continuant de réfléchir, il continua de tirer sur son mégot.

Le soir était tombé sur Paris. Sec pour une fois, silencieux et mortel pour ceux dont le cœur battait toujours. Cette nuit spécialement, la capitale semblait déserte. Pas un chat vivant pour miauler à la lune. Les chauves-souris se faisaient discrètes, même les lumières aux fenêtres semblaient se cacher. Quelque chose retenait les hommes chez eux. Comme une prière, une peur ou simplement le froid mordant d'une semaine sans nuages. Les plus sages attendaient la neige avec une certaine impatience. D'autres rêvaient déjà du printemps. L'hiver, lui, criait son silence à travers la ville.

Tailladant d'un trait brun le torse du pâle adolescent, la bandoulière d'un sac de cuir tirait sur la chemise blanche qu'il portait, dérangeant la tenue habituellement impeccable de son propriétaire. Au niveau des flancs, battant à chaque pas, une énorme besace remplie de livres. Siriel, directeur de la bibliothèque, venait de faire le tour des retardataires et se rendait tranquillement chez son dernier délinquant de la soirée. Sa force vampirique, bien que peu développée pour un être de sa race, lui donnait assez de force pour transporter ce fardeau, pourtant impressionnant pour sa corpulence. Humain, il n'aurait pas réussi seulement à le soulever. Maintenant qu'il était mort, c'était lourd mais supportable. Un travail de peine pour la préservation d'objets merveilleux. Les livres, pour l'adolescent, étaient des œuvres d'art.

Les pas du jeune homme, guidés pour une fois par un but précis, l'avait conduit dans un quartier qu'il fréquentait peu. La City était jolie mais trop peuplée à son goût. Le mélange des odeurs, des cultures et l'abondance des humains en faisaient un endroit trop vivant pour son cœur mort. Il se sentait agressé, dépossédé, blessé par les couleurs, le béton, les tags. Trop de vampires y chassaient. Trop de chasseur s'y rendaient. Pour sa sensibilité exacerbée, le quartier sentait la mort et la charogne autant que le curry. Il pressa le pas. Tout pour ne pas rester trop longtemps ici. Pas qu'il avait peur pour son être physique, après tout, la mort serait pour lui une délivrance, mais parce que Sarah ne s'y montrait jamais. Et sans l'esprit de sa sœur, il se sentait juste trop faible pour supporter l'existence.

Et puis, soudainement, les pas du garçon s'arrêtèrent. Il pila. Juste devant un bar à la terrasse duquel un homme étrange prenait la lune tout en fumant une cigarette. C'était celle-ci qui avait attiré son regard. La fumée dessinant des volutes grises dans le noir de la nuit. Le rougeoiement du tabac en combustion. Le contraste entre la peau bronzée et les cheveux blanc du propriétaire. Tout un tableau. Magnifique.

Sans se rendre compte de l'incongruité de son comportement, l'enfant passa la lanière de cuir par-dessus sa tête, posa son sac sur le sol pavé, sortit son bloc, un fusain et s'assit en tailleurs juste devant l'inconnu. Là, impassible, il se mit à le fixer une bonne minute avant de commencer à crayonner. Des ombres, des traits, le café prenait forme sous ses doigts. Il travaillait sans se presser, restant de longues minutes à observer le dessin mouvant de la fumée dans la nuit. Une arabesque en espace négatif. Voila qui serait intéressant à voir. Quand au fait que son inspection puisse gêner ou au moins intriguer son modèle, il n'y pensait même pas. Pour lui, le monde était une ombre. Et les ombres, aux dernières nouvelles, restaient toujours silencieuses.

Reinhart ne se sentit pas tout de suite épié. Pourtant, il aurait dû, par ses sens. Mais la cigarette avait le doux et plaisant avantage de vous emmener lui, dans les fleuves enfumés et âcres des senteurs et du piquant de la nicotine chauffée. A bein y regarder en profondeur, cela apaisait et invitait presque à un instant de nostalgie. L'ancien officier allemand avait l'impression de s'être tenu là, lors d'une visite à Paris ; là...c'était tout relativ, la capitale était grande.

Te tenir contre un mur, à savourer une cigarette française à une époque où elle était chère à obtenir en paquet. C'était à une époque de victoire, où rien ne pouvait arrêter la puissance du Reich. Reinhart avait eu des rêves de grandeur et il refixait ces mêmes étoiles , les mêmes qu'il y a un siècle. Dire que là-haut, l'univers bougeait. Ces astres lointains bougeaient. Mais un millénaire ne suffirait pas à distinguer leur changement céleste. Le vampire ne se posait même pas la question de savoir s'il dépasserait ce laps de temps pour constater ces délires astronomiques. Déjà être un vampire donnait des avantages, mais aussi des inconvénients...

Il tira une dernière fois sur sa cigarette, vidant totalement son esprit. C'est là qu'il sut qu'on le regardait. Il n'eut qu'à tourner la tête pour voir un gosse occuper à le dessiner. Il sourcilla un peu. Il n'aimait pas trop qu'on le dévisage comme cela. Cela pouvait être pris pour de la provoquer. Mais devant les gestes rapides et néanmoins d'apparence précises, Reinhart se demandait ce que le gosse dessinait vraiment. Ne dites pas qu'il était question de sa personne ? Quelle drôle d'idées... .Il y avait de quoi en rire un peu. Il n'avait rien pour attirer l'attention des artistes en général. Autant en savoir plus.

De la morosité de mauvais poil, le vampire passa passa à une certaine curiosité.

- Tu aurais pu me demander mon avis mon garçon, sur mon envie de te servir de modèle ou pas

Une fois ce passage énoncé, il demanda :

-Aurai-je au moins le droit de voir le dessin une fois que tu auras fini ?

S'il se trouvait horrible sur le dessin, il aurait de quoi répliquer, comme il pouvait s'amuser à le faire quand c'était nécessaire

Une à une, les miettes de carbone tombaient sur la feuille blanchie, traçant des ombres sous la lumière de la lune. Un monde en noir et blanc, entièrement composé de nuances de gris, sans les couleurs pures qui abîment les yeux. Un monde en opposition et pourtant, composé de milliers de nuances se fondant les unes dans les autres.

Ce dessin-ci était très matériel. Le noir de la nuit se mêlait aux ombres du porche et à la peau sombre du modèle. En monochrome, tout était toujours exacerbé et les nuances passaient parfois par une exagération voulue. Le modèle était bronzé, il devenait charbon. Une tête noire, percée de deux yeux de glace, froids et portant pourtant une impression de douce volupté mêlée de la nostalgie d’une époque perdue. La lumière qui s’en dégageait dans tout ce sombre en devenait presque aveuglante. Sans les sourcils qui éclairaient le tout, ils auraient percé le dessin. Mais l’artiste sait quand modifier la réalité pour le bien de sa composition. Et, sans même avoir besoin de passer par le cerveau pour confirmation, la main de Siriel avait allégé le poids des yeux.

Le temps passa, comme il le fait toujours quand on ne le regarde pas. Les volutes blanches, sortant de la bouche sombre de l’homme, se détachaient sur le ciel noir, rejoignant l’argent des rayons de lune. D’abord beaucoup. Puis plus finement comme un fil qui se casserait parfois pour mieux revenir ensuite. Puis deux nuages, puis plus rien. L’homme s’était déplacé sous le regard vide du peintre amateur. Siriel ne réagit pas, occupé qu’il était à inscrire de petites rides au coins des yeux. L’homme parla.

Il fallu quelques temps aux mots pour atteindre le cerveau du vampire et retrouver leur signification. Il leva les yeux, regardant sans émotion particulière la silhouette qui le surplombait.

« Je peux ? »

De toute façon, qu’il le puisse ou pas, il l’avait fait. Demander la permission pour quelque chose qui était aussi naturel que respirer ne lui serait jamais venu à l’esprit. Après, s’il fallait demander, il pouvait le faire. Il s’en fichait pas mal, lui, d’avoir officiellement le droit, ou pas, de plaire, ou pas. Que pouvait-il lui arriver ? Rien. Voila. Du coup, la question ne se posait pas. L’inconnu avait reprit. Demandant la permission de voir le dessin. Il haussa les épaules. Il pouvait même le garder s’il voulait. Ce n’était pas une œuvre et il ne dessinait que pour le geste. Cela dit, il était peu probable qu’il se reconnaisse aussi foncé. Tout en contraste, voila ce qu’il avait ressenti chez l’étranger. Un homme qui pouvait aussi bien être quelque chose et son contraire. Le tortureur sensible, le tueur mélomane, l’artiste sadique, tous ces clichés qui relevaient de la même réalité, la bataille jamais gagnée entre la nature et l’éducation. Il termina son dessin et le tendit au modèle, oubliant totalement de le signer de quelque manière que ce soit.

« Gardez le »

Et sans attendre de réaction de l’inconnu, il reprit une feuille blanche et se mit à dessiner le café. En quelques secondes, le monde extérieur avait à nouveau disparu. Il ne se demanda même pas si son œuvre avait plu, ou non. Les conséquences arrivaient toujours quand on ne les attendaient pas.

[HRP : encore désolé pour le retard]

La cigarette continua de brûler sur le bout qui lui restait, toujours pris entre deux doigts de la main du vampire, pendant que le jeune dessinateur termina son dessin. Et quand il eut terminé, dans une rapidité étonnante, il se contenta de tendre le dessin achevé au manager, pendant que ce dernier jeta sa cigarette, avant qu'elle ne lui brûle les phalanges. Reinhart ne s'était pas du tout attendu à une telle froideur... Il prit le dessin et le détailla.

Froideur. C'était vite dit. Il avait assez vécu d'années à suivre des chanteurs et autre pour savoir que les artistes étaient assez bizarres en eux-mêmes. Quand cela ne poussait pas à l'excentricité ou la dépression nerveuse qui était combattue à coup de drogue... Il y avait le silence, d'une âme solitaire que personne ne pouvait comprendre, pendant qu'elle se plongeait elle-même dans de profondes réflexions métaphysiques avant de trouver le facteur déclencheur de l'inspiration active et de ce fait, le mettre sur papier, sur toile... Tout ce que vous voulez... en somme, il fallait être soi-même un artiste pour comprendre ce que ce gosse devait éprouver. Ou alors, il se fichait royalement de la présence de Reinhart, qu'il avait esquissé dans un élan d'inspiration, pour son côté froid et ténébreux. Mais il y avait de quoi se sentir vexé quand même, quand on ne passait que pour un simple sujet, et encore, le tout sans avoir demandé la permission.

Mais devant cette forme de désintéressement, Reinahrt n'en fut pas perturbé. Il se contenta de regarder le dessin, qui était la représentation exacte de son visage, avec une pointe plus sombre peut-être sur les traits de son visage blême. En noir et blanc, c'était aisé de cerner les traits et les couleurs de base. Mais en tout cas, il n'allait pas laisser le jeune dessinateur tout seul dans son coin. Il allait vraiment le déranger.

"Je te remercie pour le dessin. Tu as un sacré coup de crayon, tu devrais te produire dans le portrait des gens. Avec ton talent, tu pourrais plaire à bien nombre de parisiens"

C'était le manager qui parlait et pas Reinhart. Mais revenons à son affaire de dessin.

"Je voudrai savoir.... Pourquoi moi en modèle ? Je ne crois pas que ce soit par ma simple présence de hasard non ? "