[Places et Jardins] Jardins des tuileries (pv Siriel)

Paris avait changé avec toutes ces années. A force de tout voir évoluer, les vampires n’étaient pas souvent sensibles aux réels bouleversements de leur environnement mais Anke, avait aimé la France par sa musique mais ne l’avait visité qu’une fois, il y avait une centaine d’année de cela… Juste avant la révolution du millénaire et elle avait fui pour ne pas être sous le feu de la guerre. Elle redécouvrait ainsi à son rythme la nouvelle Capitale s’extasiant presque des fontaines conservées en vestige d’un autre temps. Elle avait longé le Louvre et bientôt les grilles du jardin des tuileries se déclinaient radieusement.

Le jardin était ouvert au public mais gardé. Il n’y avait donc pas trop de dégradation même s’il avait perdu de son éclat d’antan. Anke s’engagea alors sur une des allées en profitant du parfum des arbres et des mortels inconscients. La garde devait empêcher aux vampires de se nourrir dans l’enceinte du parc mais était-ce vraiment une raison de narguer les immortels la nuit tombée ? Les effluves se faisaient délicieuses mais cela rendait peut-être l’endroit plus chaleureux…

La musicienne s’approcha d’une imposante fontaine, se déchaussa et pivota sur son derrière pour tremper ses chevilles dans le petit fond glacé. Les réverbères épargnaient l’instant de leur odieuse lumière et la femme scruta dans l’onde d’encre le reflet de sa peau trop pâle. Elle glissa le bout de ses doigts sur le lit silencieux, dessinant de petites arabesques imaginaires tout en fredonnant quelques notes. Un homme se pencha alors sur la pierre qui lui servait de banc avec un sourire de mortel crédule. Elle leva ses yeux sur lui, perplexe… elle ne pensait pas s’être particulièrement maquillée pour cacher sa nature.

-Vous êtes seule ?

Elle fronça un peu les sourcils avant de préférer son reflet ondulant à la vision de l’individu.

-Je doute Monsieur que la nuit soit un moment propice pour aborder une demoiselle. Le jardin est gardé mais à vous exhiber ainsi, vous arriverez simplement à vous faire suivre.

-Mon Maître me suit déjà Madame, il me garde des affamés.

Anke releva son visage pour le jauger un peu mieux… *esclave… non… impertinent*

-Est-ce qu’il vous envoie ?... Expliquez-vous… vraiment… vous ne m’avez pas dérangée pour que je vous pose des questions.

Elle prit une petite poignée d’eau et la fit couler avec douceur sur le bas de sa jambe. L’humain lui se crispa légèrement mais s’obligea à une pose plus décontractée.

-Je viens de mon propre chef… Je pensais juste que peut-être… ma compagnie vous ferait plaisir… C’est qu’il…

Elle leva une main pour le prier d’arrêter. Qu’était-ce donc que cette mode entre les deux espèces à se côtoyer de façon amoureuse sans échange de sang ? C’était tout bonnement déplacé. Si elle côtoyait des humains c’était pour les observer, et s’imprégner de leur fragilité mais jamais elle n’avait désiré un homme qu’elle n’avait pas tué. Est-ce que cet homme pensait que sa marque le dispensait de mourir ? Quel vampire pouvait donc prostituer son esclave ? Un dominateur qui avait pour fantasme d’observer ? Anke lui fit un geste plus agité comme l’on aurait pu chasser une mouche et l’homme la salua d’un bref signe de tête avant de se détourner. La vampire soupira devant tant d’impudence quand lui, bouscula un gamin errant dans l’ombre. L’homme commença à gronder contre le jeune intrus au lieu de présenter ses excuses, les yeux du promeneur scintillèrent alors… Inquiète de voir le jeune homme passer ses nerfs sur l’idiot mortel, Anke se redressa, pieds nus sur le rebord de la pierre glaciale.

-Laissez.. il est marqué.

L'air piquait les yeux en ce soir d'hiver. Ce n'était pas le froid mordant qui faisait pleurer les yeux des mortels, pas plus que la pollution parisienne teignant la nuit d'orange mais le désespoir qui accompagnait le mois le plus froid de l'année. Dans la capitale comme ailleurs, certains malheureux savaient qu'ils ne passeraient pas la nuit. Les prédateurs et le climat conjugués étaient trop de difficultés à surmonter et beaucoup abandonnaient sans même essayer. La prostitution se faisait plus active, les pauvres préférant de loin se donner que dormir une nouvelle fois sur le béton gelé. Cette nuit sentait la mort propre, les chambre froide et la folie.

Etait-ce qui avait poussé Siriel à sortir ? Il l'ignorait lui-même. Il s'était réveillé comme toujours dans son gisant de marbre puis avait quitté sa demeure sans même essayer de voir Meissa. Il avait alors erré. Longeant le Jardin du Luxembourg puis redescendant la grande avenue jusqu'à la fontaine St Michel toujours peuplée malgré les siècles et le danger. La misère s'étalait dans ce quartier comme un rappel constant de la richesse des bâtiments autour. Il s'était ensuite promené dans le Jardin du Loup, mais la nature que ses pieds cherchaient n'étaient pas là, il avait continué.

La nuit n'était plus jeune lorsqu'il arriva devant les grilles du Jardin des Tuileries. Fasciné comme toujours par l'imposante symétrie du Palais du Louvres, il hésita à rentrer. Etait-ce le but de sa balade du soir ? Il ne savait pas trop. Il ressentait une certaine répugnance à se retrouvé enfermé entre quatre murs. Sa peau voulait plus de vent. Plus d'odeurs et de surprises, plus d'humains fantôme pour lui tenir compagnie. N'aimant pas les vivants, ils trouvait dans les presque-morts une sorte de rappel de sa condition de perdus. Corps vivant à l'esprit mort, lié à l'esprit vivant de sa sœur dont le corps n'était plus depuis longtemps. Où était Sarah ? Elle lui manquait.

D'un pas plus vif cette fois, l'enfant avait pris le grand chemin entre les marronniers, dépassé les cafés de métal, ignoré les bustes de reines célèbres et descendu les quelques marches menant à la grande fontaine. Il se souvenait d'elle de jour, entourée d'enfant louant de grands bateaux à un homme les portant sur ses épaules. Il n'avait pas comprit à l'époque comment les gens libres pouvaient perdre leur temps à de telles parodies mais Sarah les avait envié depuis longtemps.

Une femme était dans la fontaine, aussi pâle que le marbre, penchée pensivement sur l'eau. Un homme arriva alors et la comédie commença. C'était comme une danse. Je m'approche, je me recule, les paroles échangées n'ont que peu d'importance dans ses moments, l'échange se faisant à un autre niveau. Siriel approcha. Il voulait saisir les expressions pour un dessin ultérieur. Il fit un pas, deux pas, silencieux et lent pour ne pas déranger le couple, essayant de fondre sa pâleur dans la nuit. Il y réussit, trop bien. L'homme chassé recula, lui rentrant droit dans l'épaule. L'enfant se redressa. Quelque part en lui, la bête gronda, agacée par ce manque de respect. Elle se lova tout au fond de l'agacement réel du Bibliothécaire d'avoir été interrompu dans ses pensées. La Faim se réveilla alors en écho, lui rappelant qu'il n'avait rien avalé depuis oh, trop longtemps. Et l'homme, comme en réponse à ces entités, gronda à son tour. L'adolescent se redressa vaguement étonné par cette avalanche d'émotions, surprit surtout de réagir à quelque chose d'aussi trivial lorsqu'une voix le fit sortir de sa transe.

-Laissez.. il est marqué.

Marqué. L'expression voulait tout dire et pourtant ne signifiait rien. Ils étaient tous marqués d'une façon ou d'une autre. Marqués par la vie, marqués par la mort, par les privations et les excès. Marqués. Drôle de mot. Mais le sens de l'intervention était clair et l'on ne prenait pas les proies d'un autre. Même lorsque l'on n'avait jamais eu l'intention de les prendre. Il fit un pas en arrière, ignorant totalement l'inconnu et, changeant de direction se dirigea droit vers la fontaine et la protectrice de l'esclave.

Sans demander de permission, il s'assit également sur le rebord, dos à l'eau, pas assez près de la vampire pour être envahissant, pas assez loin pour se faire oublier et regarda pensivement la poussière à ses pieds.

"A vous ?"

Le gamin avait cette nonchalance maladroite qu’il n’arriverait jamais à perdre pourtant, il flottait dans une maîtrise parfaite. Son corps était sien et il en possédait chaque centimètre de peau. C’était bien à cette nuance si qu’on sentait le baiser immortel sur l’aura de chacun d’eux. Anke dominait la scène, debout sur la pierre, dans un équilibre trop stable pour être réel et remarqua satisfaite que son conseil avait été saisi. L’enfant venait de s’asseoir à ses côtés sans l’envahir et elle prit le temps de s’installer de nouveau comme elle l’avait fait initialement sans se soucier de répondre. Ils n’étaient pas pressés… non jamais et c’est précisément ce qui mettait le mortel mal à l’aise. La danseuse s’était tortillée dans une simagrée humaine avant de jouer du bout de ses doigts dans l’onde translucide. Elle releva alors la tête vers l’immortel pour lui adresser un visage presque chaleureux, amusé.

-Ai-je l’air d’avoir si mauvais goût Monsieur ? Je n’aime pas l’amertume imprégnée de la syphilis.

Elle ponctua sa phrase d’un tout petit rire qui ne reflétait rien de monstrueux. Il était le plus naturel du monde, il était si parfaitement emprunté.

-Je vous prie d’excuser mon ton un tantinet vindicatif… mais je n’aime point les affaires… de justice. Il m’aurait été particulièrement détestable de devoir témoigner.

L’humain avait reculé d’un pas mais faisait toujours face au jeune vampire alors que la femme, les pieds dans l’eau lui montrait à présent le dos comme si elle l’avait totalement oublié.

-Je crois qu’il attend que vous lui suggériez de filer…

Elle pivota sur son séant pour tendre ses pointes à l’extérieur du bassin et balader ses chevilles dans l’air un instant avant d’espérer enfiler ses ballerines pour poursuivre sa promenade.

-Je n’ai point dîné et vu l’heure… j’ose imaginer que vous non plus… M’accompagneriez-vous ?

Elle lança un regard par-dessus son épaule, comme si l’ombre d’un refus ne lui avait même pas traversé l’esprit. Ils ne se connaissaient pas, il était vrai et elle ne cherchait pas vraiment à se faire des amis mais elle était civilisée, contrairement à ces ermites éternels. Il était loin le temps de la vie sauvage et elle trouvait un sens à vivre au jour le jour en compagnie des gens qu’elle rencontrait et ce, quelque soit leur lignée. Elle sourit dans une simplicité terrifiante à l’homme qui l’avait dérangée.

-Vous ne nous confieriez pas… à tout hasard… vers quel quartier vous comptez errer pour ce soir ?

Elle se retint avec difficulté à ne pas trouver l’effroi du mortel hilarant, avant d’expirer un peu bruyamment de sa joie de vivre de l’instant.

Les mots flottaient dans l'air comme autant de gourdins. Plus mortels encore que le froid et la neige. Ils avaient l'attitude digne de l'hiver, son dédain, son indifférence. Ils étaient beaux et laids, étranges et familiers, clairs et pourtant incompréhensible. Ils étaient surtout vide. La compréhension résidait dans le ton. Dans l'attitude de celle qui les prononçait. Dans le contexte enfin. Mais pas dans les mots eux-mêmes. Parce que ces mots là, les plus important d'entre eux en tout cas, Siriel ne les connaissait pas.

Légèrement surpris, l'adolescent retourna un regard neutre sur l'inconnue. Le ton était des plus dédaigneux, le rire moqueur mais pas méchant. Naturel. Content. Comme si ce qu'elle venait de dire était réellement drôle. Syphilis. Le mot résonnait pourtant aux oreilles comme une déchéance. Le début léger, suintant puis la fin courte et sonore, comme une chute imprévue et brutale. C'était un mot sophistiqué, on le sentait dans ses voyelles. Un mot qui devait aller avec amertume. Il en avait le parfum. Ce côté râpeux et traitre sur la langue.

Imprégné aussi était un inconnu mais il semblait déjà plus banal, moins intéressant. Presque sale. Le genre de mot sur lequel on n'a pas envie de s'attarder. Déjà qu'il n'aimait pas les mots… il n'allait pas demander à ce qu'on les lui explique. Il préférait les laisser couler loin de lui. A un endroit où ils ne pourraient blesser personne. Il n'y avait pire arme que les mots. Et l'inconnue continuait à tirer. Et d'autre mots inconnus s'ajoutèrent à la liste. Vindicatif, point, dans ce contexte là en tout cas. Détestable dont il comprenait le sens mais qu'il entendait pour la première fois. Elle aurait pu parler une langue étrangère, cela serait revenu au même. Toutefois, il comprit au travers du ton qu'elle s'excusait pour la violence de la phrase précédente. Son expression ne bougea pas. Elle ne l'avait pas blessée par ses mots. Il n'avait donc pas à l'excuser.

L'homme, lui, avait reculé d'un pas mais les regardait toujours. Conscient de sa présence, Siriel agissait cependant comme s'il ne s'agissait que d'un détail du paysage. La femme cependant semblait sensible à sa présence et attira l'attention du vampire dessus. Il tourna la tête, fixant l'humain de ses yeux vides. Immobile, impassible, silencieux. Il n'avait pas l'intention de parler. C'était trop fatiguant et son attitude était suffisamment claire. Enfin si la femme lui avait laissé le temps. Ce qu'elle était pressée ! Et bruyante ! La pauvre. Il avait de la peine pour elle.

Délaissant l'humain, il reporta donc son attention sur la source du bruit. Encore une fois, le sens était facile à saisir mais les mots compliqués à comprendre. Elle voulait qu'il la suive, voila ce que son attitude disait. Et lui n'avait rien contre le faire. Oubliant l'humain, il emboita donc le pas à sa nouvelle amie. Celle dont il écoutait les paroles depuis quelques minutes mais dont il ne savait toujours pas le nom. Il allait le lui demander, lorsque, soudain, elle s'intéressa à nouveau au mortel, le frappant de ses mots avant de rire de sa terreur. Siriel frissonna. Il était tombé sur une tireuse d'élite. Un de ces immortels qui utilisaient des mots compliqués comme armes exotiques pour toucher leurs cibles en plein cœur. Cela lui donnait froid. Plus froid que toutes les neiges parisiennes. Et le rire joyeux et bruyant de la jeune femme avait quelque chose de malsain.

"Pourquoi ?"

Ca lui avait échappé. Pourquoi cette joie, pourquoi avoir épargné l'homme, se contentant de l'effrayer ? Pourquoi lui avoir demandé sa compagnie ? Pourquoi utiliser des mots aussi compliqués alors que la langue française pouvait être si simple ? Pourquoi être sortie cette nuit ? Pourquoi avoir mit les pieds nus dans l'eau ? Sa question, pourtant extrêmement claire pouvait être lue de bien des façons différentes et Siriel était presque curieux de savoir ce que sa compagne de la soirée choisirais. Quand à l'homme, il avait déjà disparu sous les arbres, protégé par l'ombre de son maître. Toujours. Comme lui-même l'avait été de son vivant. Il avait d'ailleurs toujours la marque. Bien visible sous sa nuque, au travers de ses cheveux blonds.

Ce promeneur nocturne ne semblait pas loquace. Une fois que l’humain se fut sauvé, le faux jeune homme ne semblait pas plus à l’aise à moins qu’il ne fut pas un instant dérangé ? Est-ce que la pointe de mépris propre à l’insolence était l’expression de sa nature adolescente ? Anke avait du mal à croire que l’esprit d’un vampire n’évoluait pas avec les siècles, elle était loin de l’insouciante artiste qu’elle avait été. Le jeune homme ne s’exprima pas. Il ne riait pas de ces blagues et son visage n’offrait aucune expression partageable… C’était peut-être un demeuré ? Elle avait lu un article sur la proportion inquiétante des transformations navrantes et peut-être qu’il était témoin de ce nouveau fléau ? Elle ne pensait pas que le sang des vampires puissent s’affaiblir mais peut-être que ses pairs choisissaient mal leurs élus et jetaient leur dévolu sur des esprits trop faibles pour supporter l’horizon de l’éternité sans devenir fou?

Un simple mot. Alors qu’elle commençait à trouver un rythme de marche et à se décider à partir, il s’était exprimé. Une question ? Non un aveu d’une totale perdition. Anke leva un sourcil un peu inquiète… Est-ce qu’il était creux ou véritablement égaré ? Soudain à la lumière d’un réverbère, elle aperçut la marque dans son cou. Elle crispa la mâchoire et le regard qu’elle posa sur lui changea imperceptiblement. Un esclave… On lui avait offert l’éternité alors qu’il n’avait rien connu de la vie. Il était un fantôme d’une époque qu’il n’avait même pas connu. Il était pire qu’un demeuré… Il était ignorant.

Un instant, elle hésita à sortir son arme et à lui tirer une balle en plein front. Son esprit l’en aurait remercié sans nul doute car là… Le pauvre type ne savait certainement pas quoi faire de son éternité. Il l’avait suivie…S’en était-il rendu compte ou est-ce qu’il répondait à ce que son esprit aurait pu considérer comme un ordre ? Elle en avait oublié sa question tant la dimension du paradoxe de ce petit être la frappait. Les sentiments à son égard étaient partagés. Il n’était rien, ne valait rien. Il était une curiosité qui lui ferait passer une bonne soirée ou du moins passer l’ennui. Il était le témoin de ces vampires révoltants et si son Sire avait été à côté, elle lui aurait certainement fait passer une mauvais quart d’heure…

-Où est ton Sire ?

Non elle n’avait pas à le rencontrer mais il lui fallait s’assurer qu’il n’était pas le jouet d’un autre vampire. L’esprit d’un homme, aussi damné soit-il pouvait encore être sous le joug d’un autre… Elle s’appuya au lampadaire sur son coude dans une pose décontractée décidément peu soucieuse qu’on la confonde avec une catin.

- Esclaves - Age : 36 Messages : 18 Date d'inscription : 23/03/2010

Elle n’était pas discrète. Mais alors absolument pas. Non, Meïssa était même tout le contraire. Elle était bien en filature pourtant, mais les quelques temps qu’elle avait déjà passé avec son maître lui avaient appris qu’avec Siriel Silver, même un éléphant rose pouvait passer inaperçu s’il n’avait que Sarah ou d’autres considérations un peu étranges en tête. Alors l’esclave avait enfilé ses bottes blanches doublées de fourrure, celles avec les pompons, une robe blanche pas bien épaisse et un long manteau blanc par-dessus. Siriel aimait cette tenue, et elle allait bien avec l’hiver. Il fallait voir le côté positif des choses : au moins ainsi, aucune voiture ne risquerait de la bousculer. Même phares éteints, dans une allée sombre, l’esclave était voyante. Enfin, elle n’avait pas ses "Nellies", c’était déjà ça.

Elle avait donc suivi son maître, marchant bien derrière, usant de lenteur et regardant tout autour d’elle pour bien reconnaître les lieux. On ne savait jamais, elle avait beau être marquée de plusieurs tatouages, sentir l’esclave à plein nez, si jamais son maître s’éloignait trop, il faudrait qu’elle puisse rentrer à la bibliothèque en vitesse avant qu’un autre ne lui mette le grappin dessus. Siriel serait complètement paumé sans elle. Elle ne prit la peine de faire attention à elle et à se cacher que lorsqu’ils arrivèrent dans un parc. Il y avait un peu de mouvement, des ombres qui dansaient sur le sol, se heurtaient au tronc d’arbres pour y ramper. Siriel devait être inspiré ici. Elle trouvait les parcs morbides, la nuit. Lui devait trouver ça reposant, et peut être qu’il y retrouvait Sarah. Il y avait toujours Sarah, quand il y avait des roses. Il finissait toujours par se retrouver dans des situations bizarres quand il y avait Sarah. Enfin si l’on pouvait déduire un toujours de quelques fois rencontrées en une semaine.

Elle soupira. Soupira encore. Bien à l’abri des regards, surveillant son ombre pour qu’elle ne la trahisse pas, Meïssa tâta doucement les poches de son manteau, voir si le petit couteau qu’on lui avait offert était bien là. En cas d’incident, ce serait toujours mieux de pouvoir le dégainer facilement. Et même si elle ne savait pas se battre, elle pourrait toujours sauver son maître, s’il ne se transformait pas et ne se tapissait pas au sol en chien soumis. Guettant, elle entendit quelques bruits de pas, des sons plus sourds et une voix… à peu près féminine qui, elle le supposait, concernait son maître. Elle essayait de le protéger d’un autre vampire ? D’un groupe d’humains ? Elle était chasseuse ou morte ? Meïssa plongea nerveusement une main dans sa poche, serra ses doigts frigorifiés sur le manche de l’arme. Il avait pas intérêt à mourir, elle n’avait pas envie de retourner sur les étals du marché aussi tôt. Surtout que son prix baisserait si son quatrième maître disparaissait, et ce serait une galère phénoménale.

Syphillis… tantinet… L’esclave déglutit, priant pour que son maître ne se fasse pas remarquer. Bien sûr, il ne demanderait rien, Siriel ne posait pas de questions quand elles étaient logiques et quand elles avaient un intérêt perceptible. Mais c’était un vampire défectueux, comment la femme voulait-elle qu’il réponde à ça, hein ?

Il n’y répondit pas. La question du maître arracha un sourire de l’esclave, comme à une mère fière des pitreries de sa progéniture. Ha ! Qu’elle réponde à ça, la vamp’ ! Elle continua sa filature, se fiant plus à son ouïe qu’à sa vue, zigzaguant pour ne pas être repérée. Si elle paraissait se promener là tout naturellement, ne faisant que croiser leur chemin, elle intriguerait moins. La voix féminine s’éleva de nouveau, et Meïssa s’approcha un peu plus pour bien entendre.

« Où est ton sire ? »

L’esclave réprima un gémissement d’indignation. C’était une question à poser à un vampire ça ? Est-ce qu’on lui demandait son âge à elle. Parce que nul doute que sans ses facultés vampiriques, elle ne serait plus bien fraîche. Protectrice, tentant d’éviter que Siriel ne réponde avec franchise et les fasses passer pour un vampire et une esclave au rabais, ce qu’ils étaient tout de même un peu, elle se planta devant son maître, les sourcils froncés.

« Mon maître est son propre sire, il n’a besoin de personne d’autre. Un vampire avec des esclaves, qui chasse et qui est riche. Et vous ? »

Non, elle ne le tournait pas encore plus en ridicule… ce n’était pas ce qu’elle faisait, n’est ce pas ?

Il n'avait dit qu'un mot. Mais celui-ci, pour une raison inconnue, venait d'arrêter net la jeune femme dans son élan. Comme s'il l'avait touchée en plein cœur. Pourtant, il n'avait pas mit de ton dans sa phrase. A peine l'accent d'une question couplée à un mot générique qui voulait tout et rien dire. Il sentit le regard de la vampire. Il ne bougea pas. Face au prédateur, Siriel faisait toujours le mort. Et ce, d'autant plus qu'il ne l'était.

Comme contaminée par ses manières à lui, elle lui répondit par une question parlant de tout à fait autre chose. Mais ça, c'était une conversation qu'il pouvait suivre ou comprendre. Elle cherchait à deviner d'où il venait. L'enfant hésita. De son passé d'esclave, il avait gardé une immense loyauté envers un être qu'il détestait par ailleurs. Donne la location de son Sire allait-il lui causer des ennuis ? Et lui-même, voulait-il vraiment être la cause desdits ennuis ? Oui ? Non ? La bête se mit à gronder en lui, assombrissant son regard. Hilbury avait détruit sa vie - ce qui n'était rien - et abîmé sa sœur - ce qui était tout. C'était un arrogant imbécile, entouré de mots divers et de divers maux. Une tête de linotte. Le genre à s'agiter dans tous les sens sans aucun résultat. Il avait tué Sarah et condamné Siriel à l'enfer éternel dans le gris sans fin du monde. Au moins.

Une vague de dégout monta de sa poitrine et faillit le renverser. Ce serait si facile. Juste un mot qu'on ne pouvait même pas lui reprocher puisqu'on le lui avait demandé. Oui. S'il avait été moins conscient du pouvoir des mots, il se serait laissé tenter…

Mais James était à la fois son Sire et son Maître. Il ne devait pas le trahir. Il ne pouvait le trahir. Pas plus qu'il ne pouvait désobéir à un ordre direct. Il était coincé. Perdu entre ces émotions qu'il tentait désespérément d'éviter. Coincé finalement. Jusqu'à ce que Meissa le libère.

En la voyant apparaitre entre eux, le vampire se rendit compte qu'il avait toujours su qu'elle était là. Seulement elle faisait tellement partie du paysage qu'il n'y prêtait pas attention. Elle était comme un bras. La douleur en moins lorsqu'elle vaquait à ses occupations. La Bête reflua, les yeux de Siriel retrouvèrent leur pâleur habituelle. Rien d'autre dans son visage n'avait changé.

Et Meissa parlait. Comme elle faisait toujours tout, avec vie, rage et passion. L'adolescent l'écouta, sans vraiment comprendre ce qu'elle disait ou pourquoi elle choisissait ses mots puis posa sa main blanche sur sa tête.

C'était un geste d'affection qu'il avait l'habitude de faire quand il voulait qu'elle se taise ou qu'elle se calme. Il n'y avait pas de violence mais un peu de possessivité qu'il aurait trouvé étonnant si seulement il s'était laissé y réfléchir. Meissa avait tout dit. Ou rien pour ce qu'"il en savait mais elle avait en tout cas assez parlé. C'était maintenant au tour d'Excalibur de répondre. Avec la petite, peut-être qu'un semblant de dialogue allait s'amorcer. Pourquoi pas. Après tout, il était toujours intéressant de connaître un tireur d'élite et c'était le rôle des esclaves que de se trouver en première ligne. Surtout que la gamine savait se défendre et se protéger de ce point de vue là. Il eut un sourire pâle et triste. Sarah, rappelée par toute cette agitation, commençait à se montrer un peu. Il la suivit des yeux, pensif. La moitié de son esprit devait bien suffire pour suivre la conversation. Non ?

L’enfant changea au reflet de la lune et du réverbère sur des nuances contrariées. Il n’était pas sot, elle le lisait dans ses yeux et si au premier abord il déambulait comme un esprit vide, Anke venait de voir cette teinte rageuse dans ses prunelles qui le retenait de parler. Ainsi donc, il pensait. Il devait s’en vouloir d’avoir été si vite cerné, peut-être même qu’il craignait que son Sire ne débarque, amusé et déçu par la petitesse de son engeance. Elle était plutôt fière d’elle et lui offrit un arrogant petit sourire tout en attendant qu’il s’aventure à répondre. Pourtant les bruits s’approchaient, il venait présenter ses excuses pour son ridicule petit jouet et peut-être lui offrir une partie de chasse… ah non… ça sentait l’humain ça..

Une petite tête s’invita et Anke en fut fort déçue. Elle libéra le pilier lumineux sur lequel elle s’était appuyée pour faire face à l’intruse. C’était son esclave, elle était en alerte, elle sentait la peur mais surtout l’inconscience. Siriel venait de retrouver sa lividité comme si cette petite gourde chaude l’avait élevé au dessus de ses tracas. L’enfant détourna la tête des deux femmes comme si cette conversation ne le concernait pas et l’allemande commençait à croire qu’il se moquait d’elle… le jeune vampire ne voyait-il pas comme sa chose était vulgaire ? Il ne semblait pas décidé à la faire partir, comme si cette caresse devait la conforter dans son initiative.

Au bout de quelques secondes, la stupeur cessa de narguer sa fierté et elle trouva un nouveau sourire qu’elle ornementa d’un petit rire. Le tableau était surprenant, un esclave qui avait un esclave… Ils ne se ressemblaient pas du tout, ils ne devaient même pas être de la même famille… Le Sire à l’origine de tout ça devait être sérieusement dérangé pour se construire un clan de sujets aussi peu…pertinents. Mais le doute s’immisça, peut-être était-ce là très sensé ? Elle se mordit la lèvre dévoilant la pointe d’une canine avant de reprendre une attitude moins antipathique et de s’adresser à la mortelle.

-Une charmante suite que voilà… Sais-tu au moins de quoi il est riche ? Son compte en banque n’est peut-être pas vide.. non… mais… qu’est-ce qu’une esclave sait de l’argent ?

Elle lança une question au vampire, sachant pertinemment qu’il ne saurait répondre.

-Je ne savais pas qu’il était encore de mode de laisser les esclaves en semi-liberté. N’y a-t-il pas eu un décret à ce sujet ? Les laisser disposer de votre or serait bien peu charitable à leurs errances… Nous devons en tout point respecter les humains pour nos racines communes. Les hommes libres développent leurs âmes… mais laisser s’épanouir les esclaves… je ne crois pas que cela rentre dans les traités établis. Enfin.. cela m’indiffère assez, vous risquez surtout des ennuis si on vous surprend à ouvrir les yeux d’un esclave.

Elle ne parlait pas de cruauté non, les vampires avaient des instincts cruels et elle le vivait bien. Mais c’était le respect de l’humanité qui lui importait et on ne devait pas rendre l’esprit libre d’un esclave et lui faire croire qu’il était un humain comme les autres… Non… ce n’était pas la même humanité. Elle lança un regard sinistre et lourd de sens sur la petite créature.

-Rentre chez toi.. vite.

Anke contempla Siriel qui impassible, n’était toujours pas parti. Ne défendrait-il pas sa chose ? Est-ce qu’il était vraiment riche ? Ce pourrait être un nouveau jeu que celui-ci… Elle pouvait bien se dispenser de quelques mois de loyer.

-J’ai bien envie de me promener sur les quais, des amoureux nous attendent sans doute pour dîner. Cela vous tente ?

HRP: N'hésite pas à m'orienter pour que les intéractions avec Siriel soit "évidente" pour Anke. Le but n'est pas que tu sois bloqué avec ton perso peu loquace ^^ Je te laisse orchestrer la sortie de Meïssa :)