Cela faisait quelques jours déjà que les Zagiels étaient passés par le club. La soirée avait été amusante, on avait tous partagé notre amour de la musique, ce qui avait été vraiment agréable. Le leader m'avait fait particulièrement bonne impression. Un peu snob, certes, mais sans les défauts comme le mépris ou l'arrogance. Enfin peut-être l'était-il, sûrement même puisqu'il était musicien mais pas suffisamment pour que je m'en rende compte ce qui était tout à son avantage. Seulement voilà, depuis leur passage chez nous, je trépignais de raconter la soirée à la seule personne à qui je racontais ce genre de choses, acte un peu inutile en soi mais tellement agréable. Et cette personne ne s'était toujours pas montré. Peut-être lui était-il arrivé quelque chose ? Je ne savais pas grand chose de lui mais je savais que son père était particulièrement pénible avec lui. Un de ces pères qui veulent qu'on soit comme eux le veulent. Un de ces pères qui obligent à faire des études de médecine ou de commerce pour avoir une excellente situation. Un de ces pères qui ne se soucient pas de ce que leur fils veulent. Je ne pensais pas que ce genre de pères existaient encore dans ce siècle là, et j'étais bien placé pour comprendre ce que Daniel pouvait ressentir vis à vis de son paternel.

Le concert de la soirée avait fait fureur comme chaque soir. Le public était plus chaud que jamais et les groupies accro des morsures se bousculaient à l'entrée du carré VIP en attendant qu'on les choisisse. Leurs gloussements ne m'étaient d'aucune envie pourtant ce soir. Je regardais vers l'entrée régulièrement mais n'y voyant pas celui que je désirais, je finis par me lever et partir en coulisse un moment. Je fis les cents pas un moment, rangeant par-ci par-là des une boite de mouchoirs qui trainait, un stylo, une baguette de batterie ou encore un baume à lèvre. Un baume à lèvre ? Une grimace passa sur les miennes, qui pouvait bien utiliser un baume à lèvre ? Chris ? C'était pas du tout son genre, alors un du groupe ? Je me mis à rire bêtement, en imaginant mon bassiste vampire à plein temps se passer du baume sur les lèvres.
Me trouvant finalement ridicule, je me regardais un instant dans le miroir des loges. J'en profitais pour me recoiffer brièvement avec un léger sourire qui n'était destiné qu'à moi seul avant de pointer mon nez dans la salle publique du club. Je senti immédiatement qu'il était là. Il avait dû arriver pendant que je n'étais pas là et un immense soulagement me submergea soudain. Content de notre conversation en perspective, je fendis la foule pour le rejoindre.

Il était accoudé au bar, un verre de whisky devant lui, sa boisson préférée qui était devenu la mienne par la force des choses. Il semblait un peu perdu ce soir, et son regard n'en était que plus profonds et bleu. Celui qui m'avait sauvé la vie sans que je ne demande rien appréciait ma compagnie, et s'était réciproque. Je m'installais sur le siège à côté de lui et tournais les yeux vers lui, je ne me lassais pas de le regarder, alors j'en profitais.

« ça fait longtemps que t'étais pas passé... »

Je commandais un autre whisky pour lui à mettre sur mon compte.

« Allons dans un endroit plus calme tu veux ? »

Je souris légèrement, pour parler, ce serait bien plus pratique de ne pas avoir la musique aussi forte, en tout cas pour lui. Je l'entraînais vers un coin de la salle un peu plus calme et je m'installais sur la banquette le laissant prendre la place qu'il souhaitait. Nous savions déjà tout les deux que j'aurais également ma petite goutte de sang mais si un jour il ne voulait pas, je ne pense pas que j'en serais fâché. Passer un moment avec lui m'était devenu suffisant et ce soir, je sentais qu'il avait besoin de se vider un peu plus l'esprit que d'habitude.
D'un geste de la main, une serveuse ondula jusqu'à nous et je lui demandais d'aller nous chercher un peu de coke, ce qu'elle s'empressa de faire aussitôt. Je préparais tranquillement deux lignes à l'aide d'une carte bancaire.

« Tiens ça t'fera du bien... » lui lançais-je doucement en lui tendant une petite paille.

Je fis ensuite la même chose avec la deuxième ligne, inspirant profondément avant de m'adosser à la banquette pour regarder Daniel. Je faisais à ma façon pour qu'il se sente bien dans mon monde puisque je ne pourrais jamais entrer dans le sien.

Je souris un peu en voyant Daniel accepter la paille. C'était le meilleur moyen pour s'évader un peu, et c'était le seul que je connaissais et que je pouvais lui offrir. Je laissais une main sur son épaule tandis qu'il ne laissait pas une miette de sa ligne. Je le suivis ensuite. Evidemment, l'effet sur moi était moins fulgurant que sur un être humain. A part me sentir un peu plus léger, je pouvais toujours courir pour d'autres sensations. Enfin avec de la pure en tout cas. Car si je la mélangeais au sang, je pouvais atteindre un bon niveau de détente, encore plus si le mélange s'était fait dans le corps de l'humain. Mais j'évitais de bourrer mes humains de coke car ça se finissait toujours mal pour eux. Je préférais encore faire le mélange moi-même. Il n'en était pas de même pour l'alcool. Là je m'adonnais régulièrement à faire boire les humains que je prévoyais de mordre pour en tirer tout l'arôme qui me plaisait. Ce n'était pas le cas de Daniel.

La seule fois où je l'avais fait boire était sans doute la première fois qu'il m'avait laissé le mordre. Encore que ce soit d'un commun accord que j'avais pu le faire. Mais voyant qu'il revenait régulièrement je n'avais pas pu recommencer, sans doute le respectais-je plus que les autres. En fait, même si je ne tuais pas les mortels, il était le seul que je respectais réellement (en dehors de Chris évidemment). Et sa semaine avait été « infernale ». Sans même le dire, je m'en serais douté. Je ne voulais pas lui faire parler de ce qu'il ne voulait, peut-être qu'il en parlerait de lui-même un peu plus tard. Je n'étais pas son père, ni sa mère. Encore moins son psy. Moi ce que je voulais c'est qu'il soit bien. J'eus alors un léger rire quand il me demandait comment s'était passé le concert avec Zagiel. Je croisais les jambes avant de commencer mon récit.

« C'était cool. J'aurais aimé qu'tu sois là. Les Zagiel sont sympa, enfin leur leader en tout cas. C'est un vampire, il a l'air vachement plus vieux que moi, il a d'la gueule. Mais pas trop snob. Ils font du métal symphonique, t'aimes ça toi ? Je me suis jamais vraiment penché dessus mais le peu que j'ai entendu j'ai vraiment aimé. Bon ses musiciens sont des mortels du coup ils ont besoin de pas mal de temps de préparation mais bon....et leur violoncelliste est pas mal niaise...mais c'est cool. On se ref'ra sûrement ça un jour. »

Je me mordis légèrement la lèvre avant de pencher la tête en arrière. Je me redressais ensuite pour regarder vers le club, c'était l'heure d'affluence et un gorille empêchait les deux ou trois groupies qui m'avaient repéré.

« Allons bon. »

Je souris à nouveau pour poser mon regard sur mon ami. Je crois bien que je n'avais pas été si content de voir un mortel depuis longtemps et pourtant, vu mon régime alimentaire, on aurait pas cru.

« Les groupies...c'est mignon. » lançais-je nonchalant. « La prochaine fois tu dois être là hein !! »

Je pointais un index en direction de lui, d'allure impressionnante...enfin il savait très bien que je blaguais avec ma pseudo autorité. J'étais peut-être un meneur, mais je n'étais pas autoritaire, c'était en contradiction totale avec ma philosophie.

« On verra ça ensemble. Par contre, j'te tiendrais éloigné du manager. Ce mec est trop zarb. »

Un sourire ponctua ma phrase. J'avais le don de sourire même en disant des choses qui n'en amenait pas forcément un. Mais j'étais comme j'étais. Et je ne doutais pas de pouvoir sauver mon Dan si jamais le manager étrange faisait des siennes. Enfin, j'extrapolais plus qu'autre chose, un autre de mes petits défauts. Pour le moment, j'étais avec Dan, tranquillement installé, à profiter l'un de l'autre de notre présence.

Je me mis à rire doucement quand Daniel nargua calmement les groupies qui essayaient de passer. Il savait qu'il était privilégié, si je m'étais retrouvé avec une de ces filles, j'aurais seulement bu quelques gorgées avant de leur dire de partir illico presto. A vrai dire j'aimais mes fans, mais ils n'avaient pas beaucoup de conversation. Enfin, j'avais beau dire ça, je ne savais pas si Daniel était un de mes fans ou non. Je supposais que non vu son attitude avec moi, sinon c'est qu'il était particulièrement raisonnable.

« Le manager....c'est un vampire et j'crois pas qu'il soit très arrangeant. Enfin tu vois l'genre, les humains c'est que d'la bouffe sauf si on peut en tirer profit. »

Quoiqu'il en soit, si ce manager avait l'intention de s'en prendre à Daniel, il ne fait aucun doute qu'il aurait droit à mes poings, mes crocs et tout ce qui pourrait le sauver. Bon ok, je dois vous paraître vachement possessif mais rassurez vous, je ne considère pas Daniel comme un objet. Enfin plus maintenant et depuis quelques temps déjà.

L'alcool et la drogue semblaient faire leur effet, car il commença à me parler de lui. J'en avais pris l'habitude, il n'était pas du genre très bavard à propos de lui, plus par envie d'oublier que volonté de ne pas vouloir étaler sa vie privée. Et en un sens c'est ce que j'appréciais même si mon naturel curieux était malmené. Il ponctua sa phrase par une envie de ne pas parler de ça, j'eus un léger sourire et me rapprochais de lui. Je me penchais légèrement et parlais un peu plus bas.

« P'tet que si t'en parlais un peu, t'en rêverais pas ?... »

Je me redressais, je disais n'importe quoi en fait. Je savais très bien à quel point un père comme ça pouvait être contraignant. Et je savais à quel point on pouvait se sentir mal en ayant l'impression de ne pas pouvoir être qui on veut.

« Ouai enfin, il te fait assez chier comme ça, sûr que t'as pas envie d'y penser en dehors du boulot. »

Je lui souris à lui, son visage et son regard qui aurait pu transformer n'importe qui en statue de pierre. Oh pas par méchanceté, certainement pas. C'était un truc sur lequel il n'avait pas de contrôle, il était avec ces yeux, ce regard et même si son père était un pourri, je devais au moins le remercier pour ça. Enfin je devais surtout remercier Daniel de m'avoir sauvé à notre première rencontre, sinon je serais sans doute en cendre quelques part éparpillé dans les rues de Paris.

« Eyh, tu m'en parles ou pas, comme tu veux. Mais j'sais qu'ça va pas. »

Je le regardais, plus sérieux que d'habitude, j'avais beau avoir des tendances junkies, je savais être là pour quelqu'un que j'appréciais. Je posais une main sur son épaule avant de lui murmurer à l'oreille doucement quelques mots que je voulais réconfortant.

« Je pourrais faire en sorte qu'il arrête définitivement de t'emprisonner.... ou alors s'tu veux t'améliorer en gratte, j'peux aussi te donner quelques cours... »

Souriant légèrement, je posais ma nuque sur la banquette, m'étalant un peu sur le reste. La coke devait faire un peu plus d'effet que j'escomptais mais tant mieux. Qu'est-ce que je pouvais bien faire de plus pour soulager la conscience de Daniel ? Tuer son père ? Est-ce que ce serait une solution ? Les humains étaient complexes et je ne voulais pas qu'il m'en veuille. Et puis balancer ça entre la poire et le fromage....est-ce que j'avais manqué de tact ? Seulement j'étais comme ça. Qui pouvait changer après deux siècles d'existence ? Je fermais les yeux un instant attendant sa réponse.

Comme je m'en doutais déjà, l'idée de faire tuer son père ne lui plaisait pas. Les humains étaient comme ça, ils n'aimaient pas que leurs proches meurent même s'ils les détestaient. Mais pour Daniel c'était différent et il me le confirma. Ce n'était pas le perdre qui ne lui plaisait pas comme idée mais de devoir prendre sa succession et je me sentis un peu bête de n'y avoir pas pensé avant de lui proposer ce plan stupide. Je levais les yeux légèrement contrit avant de m'adosser à nouveau contre ma banquette une légère moue dessinée sur les lèvres. Forcément, son père étant un pourri, une fois mort, Daniel devrait reprendre le rôle de pourri. Mais je doutais qu'il y arrive un jour si jamais il prenait la tête de l'entreprise paternelle. Tout simplement parce-que Daniel était fait pour bien mieux qu'un boulot d'assassin. Ok je pouvais parler mais je commençais à connaître un peu l'homme qui se trouvait devant moi et je mettrais ma main à couper qu'il n'était pas un tueur.

« J'y pense...si jamais un jour tu décides de tout lâcher. Je t'embauche ici, on a toujours besoin de serveur et puis tu apprendrais vite à faire des cocktails pour être barman...et le premier humain ou vampire qui touche à un de tes cheveux, je le réduis en bouilli. »

Je m'étais redressé et j'avais parlé de manière anormalement sérieuse. L'idée m'était venue comme ça, tout naturellement et je me demandais même pourquoi je ne l'avais pas eu plus tôt. Elle aurait pu tout résoudre, seulement ce n'était pas aussi simple et j'en étais conscient. Mais je voulais qu'il sache que s'il prenait la décision de finalement plaquer ce monde qui n'était pas fait pour lui, il ne sauterait pas sans filet et je lui promettais le filet le plus solide du monde. Un job et ma protection.

Seulement l'information qu'il me lâcha par la suite eut le désagréable effet de me broyer l'estomac. Et pas qu'un peu. Son père aller le forcer à se marier et fonder une famille. Je n'avais pas reçu un tel choc depuis le jour où j'avais quitté le domicile familial. Mes yeux s'étaient posés sur lui, le regardant fixement. Ma respiration (même si elle m'était inutile) s'était accélérée. J'avais sans doute l'air décontenancé car je ne savais pas cacher ce que je pensais. Bizarrement, imaginer Daniel appartenir à quelqu'un d'autre que moi m'était pénible. Je ne savais pas vraiment pourquoi, après tout il était un ami, un humain auquel je m'étais attaché plus que de mesure.

« Une femme, une seule ? Tu t'emmerderas tellement... »

J'eus un léger rire, et en plus c'était vrai. Être condamné à être fidèle, c'est ce à quoi son père l'obligeait ? Son père était le pire idiot que la terre ait jamais portée. Cette fois c'était encore plus évident. En plus d'être pourri, il était idiot. Mais Daniel non plus n'avait pas l'air d'apprécier l'idée et j'en fus soulagé.

« Il peut pas te forcer à trouver quelqu'un, joues la fine et tu s'ras tranquille pour encore pas mal d'années. »

Je souris en coin en croisant mes jambes. Non décidément, je ne voyais pas Daniel marié, trois enfants. Il n'était pas fait pour cette vie là. C'est la vie sauvage qui était faite pour lui. Et si jamais il se mariait, il ne serait pas dans son intérêt de me présenter sa femme car je saurais lui montrer à quel point il méritait mieux qu'elle. Méchant ? Peut-être. Je m'en fous. C'est pour ma pomme et je n'aimerais pas sa femme qui qu'elle soit je le sais. Est-ce qu'il s'en doutait ? Peut-être, ou pas. Je n'avais jamais vraiment réussi à savoir ce qu'il avait derrière la tête. Je ne savais pas s'il me connaissait aussi bien que moi je le connaissais. Parfois je le ressentais comme une déception, d'autres fois je savais qu'il venait au club pour me voir qu'il me connaisse ou pas. Les questions ne faisaient pas vraiment long feu dans mon cerveau. Ma curiosité m'amenait à poser les questions de vive voix et je le faisais tout le temps. Sauf qu'avec lui, c'était différent. Je ne me fichais pas de ce qu'il pensait de moi.

Pour la peine, je me levais en lui souriant pour aller chercher une rousse pulpeuse qui attendait quelque chose ou quelqu'un contre le bar non loin de notre table. Je lui glissais quelques mots à l'oreille lui demandant si ça la dérangerait de s'occuper de moi et mon ami là-bas. Elle me demanda pourquoi et je lui expliquais que sa chevelure de feu nous avait séduit. Il ne lui en fallut pas plus pour me suivre jusqu'à notre banquette. Je la laissais s'installer entre nous et m'assis à mon tours. Je commandais une bouteille de champagne à une serveuse et glissais une main sur la cuisse de la jolie rousse qui commençait déjà à aguicher Daniel. Elle ne perdait pas le nord la petite. Je souris un peu.

« Camron va te changer un peu les idées, Dan. N'est-elle pas...mh...sulfureuse ? On en croquerait... »

Je passais doucement la langue sur mes canines, l'odeur de son sang palpitant arrivait jusqu'à mes narines et je sentais la veine de la cuisse battre contre ma main. Je levais les yeux vers Daniel.

A ma proposition de protection, Daniel parut gêné. Il s'était tendu, voulu prendre ma remarque à la rigolade. Je souris puisqu'en effet c'était drôle. Mais je ne compris pas pourquoi. Est-ce que c'était déplacé de vouloir protéger quelqu'un ? Cela faisait bien longtemps que je n'avais pas côtoyé d'humain de cette façon, peut-être que les mœurs avaient changé et que je ne connaissais pas les nouvelles règles. Il ne fallait pas protéger ceux qu'on appréciait ? Le raisonnement me paraissait complètement stupide et absurde et je préférais passer à autre chose plutôt que de réfléchir à des choses sans queue ni tête. Daniel avait fait abstraction quand j'étais revenu avec la jolie rousse, alors soit.

Une jolie rousse très entreprenante soit dit en passant. La serveuse ramena le champagne alors que Camron volait un baiser sur les lèvres de Daniel. Je souris légèrement et allais attraper la bouteille pour l'ouvrir mais ce dernier me devança et ouvrit le champagne avec dextérité. Il avait l'habitude faut dire. Il tendit une coupe à la jeune femme, une à moi avant de se servir lui-même. Je levais mon verre et bu une gorgée. Le liquide était âpre et je le sentis glisser dans mon organisme, la sensation était moins agréable que celle du sang je devais l'accorder, mais de temps à autre, c'était intéressant.

« au plaisir » murmurais-je comme un toast à moi-même.

Daniel voulut ensuite se présenter mais la rousse le devança. Sans doute avait-elle lu la presse. J'y jetais à peine un œil mais je savais que Daniel faisait souvent l'objet de divers articles économique, people ou encore dans le top 5 des bons partis trentenaires de la capitale. Sans aucun doute était-elle tombée sur ce dernier dévoilant (pour le peu qu'il y avait à dévoiler) l'activité de son père, le poids en euro de l'entreprise familiale dont il hériterait certainement vite. Si j'avais pu bruler tout ces magazines je l'aurais fait. Je savais que ça ne plaisait pas à Daniel d'être au grand jour avec la vie qu'il devait mener. Il aurait été bien plus heureux musiciens, ou même simple cuistot.

J'engloutis une gorgée de champagne avant d'attraper vivement un des poignets de la fille. Surprise, elle se tourna vers moi, souriante, fausse. Je me penchais lentement sur elle, soufflant doucement contre son oreille.

« Tu aurais du faire semblant de pas l'connaitre, il adore passer pour un inconnu. »

Je glissais mes lèvres sur sa peau pale. Que ce soit lui ou moi, elle avait l'air consentante. Amusant. Elles l'étaient toutes au final et c'en était décevant à force. Je fis glisser mes canines le long de sa jugulaire lui arrachant un soupir. Allons bon ! Était-elle une habituée des morsures ?? Je la repoussais alors vivement pour resservir un verre de champagne à chacun. Cette prostituée m'avait coupé dans mon envie de sang. Elle était douée. Je la laissais à Daniel s'il en voulait. Buvant une nouvelle gorgée je me mis à rire doucement.

« Toutes les même. »

Je levais les yeux vers Daniel. Je me serais bien désaltéré un peu de lui mais le moment était mal choisi, qu'il s'amuse s'il en avait envie. Je lui demanderais ce petit service plus tard dans la nuit probablement. En attendant, j'avais le champagne ! La musique battait son plein dans le club. L'ambiance était bonne. Encore une fois, la recette risquait d'être conséquente. Ça nous permettait de petites folies au groupe et à moi. J'adorais ça. Peut-être que j'en proposerais une à Daniel un de ces quatre. Le kidnappant pour un week-end au ski à Salt Lake City, ou une soirée de délire à Miami, à moins qu'il ne préfère assister au tournage d'un Bollywood.

« On d'vrait s'faire un week end surf ou ski. Tu s'rais partant ? » lançais-je comme ça.

Daniel avait donné son approbation pour un petit week-end fun. Il faudrait que j'en parle au groupe, mais ça ne devrait pas poser de problème pour s'absenter un moment. Après tout, on était des vampires, on faisait tout ce qui nous plaisait et Daniel avait le droit d'y prendre part. Si jamais les autres voulaient inviter un mortel aussi, je ne serais donc pas contre. Je serais en mauvaise position pour leur dire qu'on s'amusait plus entre nous ou n'importe quel argument bidon que je pouvais inventer. Non, ce serait un week-end de fiesta sur les vagues avec de l'alcool, du sang, de la coke et...et c'est déjà bien suffisant non ? Daniel semblait en avoir besoin en plus. Alors d'une pierre deux coups, je m'éclatais et lui pensait à autre chose que ces problèmes.

Je me mis à rire quand il me demanda si je voulais le souler. Non. Évidemment, ce n'était pas dans mes intentions. Enfin en tout cas pas dans mes mauvaises intentions. Je ne profiterais pas de son état pour me souler à mon tours, non. Si je le faisais boire c'était pour qu'il passe une bonne soirée, qu'il oublie sa journée même si demain il lui faudrait recommencer. Il savait qu'ici, il pouvait s'évader. Il s'évada également de mon regard en partant danser avec la jeune fille. Je grognais légèrement. Si j'avais été en bonne compagnie je n'aurais rien dit. Mais il me laissait seul avec moi même alors que je lui avais réserver ma soirée. J'engloutis mon verre et fit signe au gorille de laisser passer la première hystérique qui se rua aussitôt dans mes bras. Je lui adressais un beau sourire et sans faire de manière je dégageais sa gorge d'une main pour la mordre avec appétit. Je bus quelques gorgées lentement avant de la relâcher, elle s'agrippa à moi pour rester plus longtemps mais le gorille vint la chercher pour l'éloigner de moi. J'eus un léger rire en glissant la langue sur mes lèvres. Son sang n'avait pas le goût le plus délicat qu'il soit, mais il n'était pas trop mauvais non plus et c'était quand même meilleur que tout le champagne que j'avais bu avant ça.

Je n'eus pas plus à attendre, Daniel revint au même instant pour s'asseoir près de moi. Je n'avais pas encore eu le temps de rétracter mes canines et je devais avoir l'air plus effrayant que d'habitude, mais peut-être s'était-il habitué à force. Je souris à sa remarque.

« Oh non je t'en veux pas. Elle était pas fine du tout...aucun intérêt. La pauvre, elle a raté la chance de sa vie, le vampire rock le plus célèbre de la ville et le mortel le plus convoité. »

Je ris un peu alors que mes canines reprenaient enfin une taille normale. J'avais encore le goût du sang dans la bouche et j'avais faim, un coup d'œil à la jugulaire de Daniel m'en fit prendre encore plus conscience. C'était bien beau de ne pas tuer d'humain, mais du coup il était difficile de boire à plus soif.

La question qui m'arriva aux oreilles me surprit alors. Daniel m'avait rarement questionné sur moi où le passé de façon générale et là, soudain, il voulait savoir comment était le monde avant tout ça et je supposais que c'était avant que les vampires ne prennent le contrôle du monde. Je hochais légèrement la tête avant de tourner les yeux vers lui et le regarder.

« A quoi ça t'servirait de savoir ?....c'était pas mieux que maintenant. Enfin j'suppose. Les mortels étaient plus libres, ça c'est clair...mais ils l'étaient tellement qu'ils commençaient à faire n'importe quoi, en politique...quelle merde la politique. Ça devrait pas exister. J'sais pas si y'a eu un moment dans l'Histoire où l'Homme s'est senti bien là où il était. Ça existe pas l'époque parfaite, le temps parfait. Suffit de vivre sa vie soi-même, ne pas écouter les règles ou les mœurs. C'est la seule façon d'être bien n'importe où, n'importe quand. »

Mon discours semblait peut-être pessimiste. Il ne l'était pas. Les humains ne tournaient pas rond, c'était un fait. Je prône seulement une forme d'anarchie et de respect mutuel qui fonctionne parfaitement dans mon monde à moi. Il a toujours fonctionné, et j'ai bien l'intention de le faire fonctionner encore longtemps. Jusqu'à ce que je disparaisse, il y aura toujours des gens qui penseront de la même façon que moi et c'était ma force.

« Tu devrais ptet essayer un jour... »

Je comprenais bien qu'il lui était difficile de quitter les bottes de son père et qu'il était pour ainsi dire bloqué. Mais je croyais aussi qu'il y avait toujours une solution pour sortir de tout ça et faire ce qu'on veut. Il suffit juste d'être certain de le vouloir. Et surtout d'avoir la force de pouvoir le faire. Et Daniel avait encore peur de ce que cela pourrait impliquer. Je le sentais bien.

Spoiler:

A peine eus-je terminé de parler que je regrettais déjà ma réponse. Daniel s'était figé, j'avais senti la différence dans son attitude immédiatement et son regard si bleu et chaud était devenu aussi froid que la mort elle-même...et Dieu sait que je la connaissais. Ma réponse ne lui avait pas plus, ma dernière remarque encore moins et maintenant que je l'avais dit, impossible de retourner en arrière. De toute façon, sans doute l'aurais-je dit quand même. Je n'étais pas du genre à mâcher mes mots pour quelqu'un, encore moins pour un ami que je pensais sincère. Sauf que cet ami était blessé, son âme était meurtrie et moi, comme un vampire sans cœur, je passais dessus comme si je ne le savais pas. Côtoyer Daniel était pour moi un exercice difficile. Je ne voulais pas le perdre mais il m'empêchait d'être aussi rude et franc qu'avec les autres. Avec lui, je devais apprendre à avoir du tact, ne pas jouer avec ses sentiments, ne pas le rendre plus désemparé qu'il n'était. Et je n'excellais pas encore beaucoup dans cet exercice. La preuve.

Daniel, plus froid que je ne l'avais encore jamais vu, me lança une pique qui finit de me refroidir et m'inquiéter. Il ne pouvait pas choisir. C'était parce-qu'il le pensait si fort qu'il ne pouvait pas choisir. Mais il était un mortel avec un raisonnement de mortel et cela, je l'oubliais parfois. Je baissais les yeux un instant avant de les relever en entendant mon ami se lever. Il attrapa sa veste qu'il boutonna en me lançant un cruel « bonne soirée ». Moi qui l'avait attendu aussi longtemps... Et il partait comme ça, ne me laissant même pas le temps de me rattraper et me faire pardonner. J'essayais de comprendre, sans succès. Daniel se détourna, je me retrouvais face à son dos qui s'éloignait pour rejoindre la foule et la traverser pour rejoindre la sortie. Sans plus réfléchir, je me levais et me précipitais vers lui pour attraper son bras et le tourner vers moi.

« Si...j'ai dit quelque chose qui t'a blessé...j'suis désolé...je voulais pas. »

Je levais les yeux vers lui. Je me sentis soudain si jeune comparé à lui. Mes réactions étaient celles d'un adolescent qui n'avait pas encore appris qu'elles étaient les limites à respecter avec les gens. Daniel ne faisait pas partie de la masse, je ne voulais pas qu'il s'en aille. S'il partait, je ne savais même pas comment je pourrais réagir. Je serais son poignet suffisamment pour qu'il ne parte pas mais pas assez pour lui faire mal ou l'empêcher de s'arracher à ma poigne. S'il tenait réellement à partir et que je ne pouvais pas le faire changer d'avis, je n'allais pas le retenir de force non plus. J'espérais juste pouvoir le convaincre...

« Pars pas.... »

Je baissais un instant les yeux, j'avais beau être un vampire âgé de deux siècles, l'enfant de 19 ans n'était jamais bien loin et c'était sans doute mon plus gros défaut que seul Daniel était capable de voir.

Il eut une hésitation. Je le sentis. Mais je sentis aussi que mes excuses n'étaient pas veines. Elles n'étaient même pas forcées, pas même calculées. Je ne voulais pas qu'il parte, je n'avais pas voulu lui faire du mal et c'était tout ce à quoi je pensais. Il me regarda fixement un moment où je crus qu'il allait s'arracher à ma poigne et partir quand même en pestant contre moi. Une chose est sûre c'est que j'avais appris que ce n'était pas une chose à faire avec un ami. Je n'avais pas à conseiller, encore moins le juger. Même si ça n'avait pas été dans mes intentions, je supposais que c'était ce qu'il avait ressenti ? Mais il ne partit pas, non, au lieu de ça, il passa une main dans mes cheveux pour s'excuser à son tours. Comme un enfant qu'on pardonne, mon visage s'éclaira d'un nouveau sourire. Il m'entraina vers notre table pour se réinstaller et terminer son verre de champagne.

Je hochais doucement la tête quand il me demanda de le remettre à sa place s'il dépassait les bornes. Bien sûr que je le ferais et je retournerais le cherchais s'il le prenait encore mal. Jamais je ne le laisserais tomber, pas plus que je ne le laisserais partir ou se faire du mal.

« Tu peux compter sur moi...bien sûr que j'te remettrais à ta place, tu crois quoi ? »

J'eus un léger sourire en le regardant. Je ne savais pas encore si on pouvait tout se dire. Je ne savais pas s'il savait qu'il pouvait tout me dire. Que rien ne sortirait de ma bouche s'il me confessait un secret. Que rien ne sortirait de ma bouche si ce n'est des mots de réconforts s'il me parlait de ses malheurs. Il se redressa pour s'asseoir contre la table et je le regardais faire alors qu'il passait une main sur sa nuque. Il semblait gêné, je pensais que nous n'avions plus à l'être, que nous avions dépassé ce stade. Peut-être que je me trompais ? Ou peut-être que nous passion à un nouveau stade. Impossible de savoir. Je sentais son pouls s'accélérer, son cœur devait drainer plus de sang qu'il y a quelques minutes. Il me regarda avant de sourire, je lui répondis alors qu'il me demandais si j'avais soif. Quelle question, un vampire a toujours soif. Sauf que c'était lui qui le proposait et je l'en remerciais, je n'aimais pas trop le lui demander moi-même, par respect...et pour qu'il ne pense pas que je l'apprécies uniquement pour m'abreuver de lui. Non s'il ne le voulait plus, je ne voudrais pas cesser de le voir.

« Un peu oui...j'peux ? »

Je m'approchais de lui, et glissais une main sur son cou doucement en repoussant ses cheveux. C'était toujours une sensation étrange pour moi, mais cent fois plus agréable qu'avec les autres. C'était peut-être aussi une des raisons qui faisaient que je n'arrivais pas à le laisser partir et que je pensais à lui quand il ne venait pas me voir.
Je ne regardais pas ses yeux, ils me mettaient mal-à-l'aise lorsque je le mordais, une sensation bizarre que je ne connaissais qui avait l'air terrifiante. Je ne sais pas s'il l'avait remarqué, peu importe au final, s'il me posait des questions je lui dirais la vérité, sinon pas besoin d'amener ça sur le tapis. Mes doigts se resserrèrent doucement sur sa nuque tandis que je penchais le visage vers sa jugulaire battante, la pulsation dans ses veines était enivrante. Je ne pus m'empêcher de respirer son odeur doucement. Il le savait, j'aimais prendre mon temps, surtout avec lui. Ne pas me goinfrer et savourer, c'était mon principe, encore plus quand il s'agissait de lui.

« ça va te faire du bien à toi aussi... » lâchais-je doucement.

Je sentais mon propre rythme cardiaque s'accélérer, allons bon. Je plantais alors doucement mes canines dans sa jugulaire, déchirant un peu la peau qui trahissait l'âge de Daniel. Le liquide chaud perla et j'en aspirais quelques gouttes avant de coller mes lèvres pour aspirer un peu plus le sang qui baigna rapidement mes lèvres. De ma main libre, j'enserrais doucement sa taille pour me rapprocher un peu plus de lui et pouvoir le soutenir s'il se sentait mal. Son sang avait le goût de la drogue et je sentais déjà son effet une petite minute après, l'alcool, il n'en avait pas assez bu, mais je sentais tout de même un léger arrière goût alcoolisé. Le goût du fer était plus fort et la douceur que son sang me procurait était inégalé jusqu'à présent.
Je pris soudain peur, pour une raison que je ne m'explique pas et je retirais mes lèvres de sa peau, regardant les gouttes de sang se dégager encore de la plaie avant qu'elles ne coagulent. Muet, je ne savais pas vraiment ce qu'il m'arrivait et je resserrais mes mains contre lui un instant comme figé. Les battements de mon cœur ne décéléraient pas. Si j'avais été en vie, cela aurait été douloureux sans aucun doute.
Mais j'effaçais rapidement cette impression, je souris légèrement et lâchais un rapide "désolé" avant de le reprendre contre moi pour boire un peu plus. Le sang n'avait pas eu le temps de coaguler alors je passais ma langue doucement sur les gouttes qui n'avait pas encore atteint le col de Dan. Je pressais une nouvelle fois mes lèvres et but plusieurs gorgées lentes, désaltérantes, et nourrissantes. Je sentis toute la lassitude qu'il éprouvait jour après jour, la haine pour son père et son envie de s'évader qu'il ne pouvait pas réaliser. Je passais doucement ma main dans ses cheveux comme pour le consoler en continuant de boire lentement. Si j'exagérais un peu, il me suffirait de lui donner de mon sang, et puis je savais qu'il aimait ça alors...pourquoi s'en priver ? Je finis par redresser la tête après un gros efforts, essuyant mes lèvres de la langue. Je le sentais plus faible, assez pour qu'il oublie sa vie diurne en tout cas. Je finis par le regarder, son visage me paraissait si torturé alors même qu'il voulait le cacher, sans doute un effet du sang.

"ça va ?...Tu as besoin du mien ?...Gorge ou poignet ?"

Je lui souris légèrement. Je doutais qu'il accepte à la gorge mais comme l'idée m'était venue, je l'avais proposée. Je ne me posais jamais beaucoup de questions concernant mes envies, je les proposais, si elles étaient suivies tant mieux, sinon ça m'était égale. Je me rendis alors compte que je le tenais toujours et je me reculais donc pour le laisser un peu respirer, faisant attention quand même à être là si jamais le manque de sang le faisait vaciller.

Le corps de Daniel s'était tendu quand j'avais les dents plantées dans sa peau. Sa main s'était accrochées à mon t-shirt et cela avait été difficile de m'arrêter de boire pour lui redonner sa liberté. Il semblait vraiment affaibli mais je n'osais pas vraiment me rapprocher pour le maintenir de peur qu'il ne le prenne comme une attaque ou une invasion de son espace. Je l'avais suffisamment malmené pour la soirée et je ne voulais pas commettre une autre faute. Il exprima alors son choix, poignet. Soit. Je connaissais déjà sa réponse de toute façon et j'eus un léger sourire, il était rare de laisser un mortel boire à mon cou. Il était rare que je donne mon sang à un humain à vrai dire, il était le seul car il me l'avait demandé la première fois et parce-qu'il était lui. Il s'agrippa alors une nouvelle fois à moi pour m'inciter à me rapprocher de lui. Ses yeux étaient plantés dans les miens et j'eus un léger sourire en venant contre lui. Accro ? Mon sourire s'élargit un peu, qu'il devienne accro à moi ne me dérangeait pas du tout, sans doute parce-que je l'étais à lui.

« ça m'génerait pas... et puis, tu l'es déjà non ? »

Je me mordis alors le poignet, suffisamment pour qu'il puisse y boire ce qu'il voulait. A force de boire mon sang, il avait du remarquer quelques changements en lui. Il se sentait sans doute physiquement un peu plus fort, sa peau devenait lisse si ce n'était sa barbe de quelques jours qui assombrissait un peu son visage, peut-être même que ses sens s'étaient un peu affinés. Les autres mortels ne devaient y voir qu'une particulière forme physique mais je savais que ce n'était pas ça. Encore qu'il ne buvait pas si souvent que ça de mon sang.
Je portais alors mon poignet vers lui, il était temps qu'il reprenne un peu de forme pour ce soir.
Je remarquais alors son cou plein de sang et je me penchais à nouveau vers lui mais cette fois pour nettoyer le sang qui avait coulé. Sa chemise était déjà tâché, je ne pouvais plus rien y faire mais autant que la tâche ne s'aggrave pas ? La bonne excuse que voilà.

Daniel amena rapidement mon poignet à ses lèvres pour laper quelques gouttes de mon sang. Je redressais la tête et reculais un peu pour le regarder. Le voir comme ça sur mon bras me donnait à chaque des frissons et des visions pas très catholiques. Seulement autant je n'aurais pas hésité à faire de ces visions la réalité avec d'autre, autant avec lui cela me paraissait complètement improbable et irréalisable, pour la bonne et simple raison que je ne le voyais pas avoir les même visions. Je souris légèrement en le voyant pencher la tête en arrière en proie aux affres du sang de vampire. Il se sentait déjà beaucoup mieux et ça se voyait. Par réflexe je passais l'index et le majeur sur sa plaie, elle était propre et les plaies assez petites, il cicatriserait rapidement. Je faisais attention à ne pas trop lui laisser de cicatrice, quand je perdais un peu le contrôle et que mes entailles étaient trop conséquente je laissais couler quelques gouttes de mon sang dessus pour qu'elles se referment immédiatement mais ça m'arrivait rarement. Mais ce soir, je ne sais pas vraiment pourquoi, mais je voulais qu'on voit qu'il était déjà à un vampire et ce vampire c'était moi. Et j'en étais diablement fier.

Je me mis à rire quand je le vis attraper la bouteille de champagne et boire ce qu'il en restait. J'étais content de voir qu'il tenait à notre amitié mais il était complètement bourré, je crois bien que c'était ce qui me faisait le plus rire. L'alcool et la drogue aussi qui se trouvait dans le sang de Daniel commençait à me monter au cerveau et quand je vis Daniel se rapprocher pour poser son bras sur mon épaule en me demandant si je ne voulais pas jouer un morceau, j'explosais de rire avant de le prendre par la taille d'une main.

« Ouai si ! J'vais t'apprendre un morceau simple tu vas voir, t'es trop bourré pour un truc compliqué. »

Oui, sauf que moi aussi un peu. Je souris en l'entraînant vers la salle, j'arrêtais au passage une serveuse et lui commandait deux bouteilles de whisky et armé de l'alcool je l'entrainais vers les loges pour accéder à ma chambre au sous-sol. Une chambre studio plutôt puisqu'elle faisait un bon 30 ou 40m² avec une partie « lit » encadré de lourds rideaux noirs et épais. Je n'avais jamais aimé les cercueils alors je m'étais bricolé un espace clos mais aéré pour passer mes journées de sommeil.
L'autre partie de la pièce était ornées de guitares, sèches ou électriques, des médiators à l'effigie du groupe traînaient un peu partout, des vêtements sur les dossiers de canapés et fauteuils placé en demi-cercle fassent à un écran géant où je me regardais les lives David Bowie, Indochine, Linkin Park ou Marilyn Manson. Sur la table basse, quelques partitions étaient étalées achevant leur course au sol avec des feuilles en boule, deux cadavres de bouteilles de Gin, une de coca, un sachet de poudre blanche et un d'herbe faisaient leur vie sans rien demander.
Certes ce n'était pas rangé, je n'aimais pas l'ordre, je détestais ça même mais au moins c'était propre, je faisais venir une femme de ménage à qui j'avais expressément interdit de ranger son seul combat : la poussière. Alors elle passait plus de temps à remettre les choses où je les avais laissé que faire la poussière ou les pavés, mais par conséquent, je la payais un peu mieux qu'une autre. J'étais lucide, elle aurait démissionné depuis un moment si l'argent ne la retenait pas.

Je posais les bouteilles sur la table avant d'asseoir Daniel dans le canapé. J'attrapais une guitare sèche, lui tendis, avant de moi-même m'en emparer d'une.

« T'as une chanson que tu veux jouer en particulier ? »

Sauf que d'abord j'avais soif et en attendant sa réponse je dévissais une bouteille pour boire au goulot une bonne lampée. Maintenant que l'alcool commençait à faire son effet, l'ingestion directe m'était beaucoup plus agréable et je bus une deuxième gorgée avant de lui tendre.

« J'pensais p'tet à People are strange... Tu connais les Doors hein ? Même si t'es jeune...Si t'avais vu Jim sur scène... »

Jim Morisson, une de mes nombreuses idoles. Il avait su profiter de la vie comme personne pour cette époque et c'était lui qui m'avait fait comprendre que c'était la seule façon réelle de vivre sa vie...ou son existence pour ma part. Je regardais Daniel, je doutais que Jim Morisson lui fasse le même effet, trop d'années les séparaient mais peut-être que sa musique au moins l'atteindrait. Enfin pour ce soir, vu la dose d'alcool et de drogue qu'il devait avoir dans le sang... Je souris avant de rire doucement en commençant à jouer la chanson à la guitare, pas trop difficile, il pourrait l'apprendre facilement s'il travaillait un peu chez lui. Sauf que je préférais qu'il me rende visite plutôt qu'il travaille chez lui justement. Je commennçais à chantonner « People are strange when you're a stranger, faces look ugly when you're alone ».

Sans doute était-ce dû à l'alcool, mais je n'avais plus la notion du temps. J'avais du la laisser derrière moi dans le club sur la banquette où nous étions assis, Daniel et moi, un peu plus tôt. Je terminais de chanter ma petite chanson made in Jim Morrisson sans même m'en rendre compte alors que Daniel m'accompagnait déjà au chant et tentait quelques petits accords à la guitare en essayant de me suivre. Je souriais comme un benêt. Oui l'effet de l'alcool, de la drogue et du sang ne me rendait pas plus intelligent que lorsque j'étais complètement lucide. Je plaquais alors la paume de ma main contre les cordes de l'instrument dans un bruit sec. La voix de Daniel s'élevait déjà dans une nouvelle chanson moins déprimante selon lui. Enfin, je n'avais jamais trouvé People are Strange déprimante. L'aurait-il fallu ? Mais de toute façon, je n'avais jamais pensé comme tout le monde, encore plus depuis que j'étais vampire. Mes goûts et mes opinions différaient de tous. Peut-être un peu moins de mes amis et compagnons mais en règle générale j'évitais tout sujet portant à des disputes pour ne garder que le physique, le matériel et le sensuel. La seule chose au monde qui permet une confrontation amenant à du plaisir. Ou bien les deux mélangés, au final, il y avait de multiples façon de s'amuser et de ne pas éprouver colère, tristesse et inconfort.

C'est ce qui me peinait le plus chez Daniel. Sa souffrance. C'est ce qui m'intriguait peut-être aussi le plus. Et lui plus que n'importe quel autre mortel car il m'avait sauvé la vie à un moment où il ne savait même pas qui j'étais si ce n'était que j'étais un vampire. Sa réaction m'avait profondément touché et dans ma vie d'immortel, c'est la seule chose qui m'avait vraiment fait réagir et éprouver autre chose que de la tranquillité. Cela faisait tellement longtemps que je me complaisais dans le plaisir que j'en avais oublié les autres sentiments. Étrange ? Peut-être...ou lâcheté. Impossible pour moi de qualifier ce que me réapprenait peu à peu un mortel.

Sa voix était douce autant qu'écorchée et je prenais plaisir à l'écouter en regardant ses doigts glisser sur les cordes en jouant les quelques accords qu'il connaissait. Il apprenait vite et aurait pu faire un excellent musicien. Une vie gâchée par un père trop ambitieux. Étrangement, cela me rappelait ma vie avant que je ne décide de partir de la maison parentale. Sauf que voilà. Je m'en étais libéré et j'étais devenu vampire par ce choix là. Qui sait ce que ma vie aurait été si j'avais suivi les ordres de mon père, si j'avais été obéissant, si je ne m'étais pas rebellé. Nobody knows. Ah tiens. Quel bon titre de chanson...je le mis de côté dans un coin de ma tête. Relevant les yeux vers lui en souriant, je l'accompagnait enfin à la guitare, ajoutant quelques chœurs au son de sa voix jusqu'à ce que nous ayons terminer la chanson.

J'attrapais une bouteille pour en boire une gorgée.

« T'es pas trop fatigué... ? »

Je le regardais tout en grattant quelques cordes de la guitare aux allures de « Smell like teen spirit » de Nirvana.

« Tu peux pioncer ici si t'as la flemme... t'auras le temps de rentrer quand tu voudras... »

Deux ou trois notes s'échappèrent à nouveau et elles résonnèrent à mes oreilles comme un avertissement. Il me fallut un moment pour comprendre de moi-même que j'allais peut-être trop loin et que je ne devais pas continuer dans cette voie si je ne voulais pas l'effrayer ou perdre son amitié ce qui me serait quelque chose d'insupportable. J'avais beau me ficher de perdre telle ou telle personne, lui, c'était simplement hors de question. Et je savais pertinemment que mon tempérament trop vif, trop honnête, trop direct pouvait faire peur bien plus que ma nature vampirique parfois.

« Ouai enfin comme tu veux, c'qu'une proposition....tout à fait honnête. » ne pus-je m'empêcher de rajouter comme pour être bien compris.

Je retins ma respiration le temps que Daniel réponde. Enfin, ce qui tenait lieu de respiration pour un vampire en tout cas. Mais j'affichais un sourire soulagé lorsque sa réponse tomba. Il me demandait pourquoi je me justifiais et je ne préférais pas surenchérir là dessus pour ne pas que cela paraisse plus étrange que la situation ne l'était déjà. Mais apparemment, Daniel ne semblait pas trouver cela bizarre, pas plus que moi mais j'avais eu peur qu'il ne le prenne mal. Il semblait réticent à plus de rapprochement l'un envers l'autre et j'avais peur de commettre un faux pas et le faire fuir (c'était bien la première fois que ça m'arrivait d'avoir « peur » que quelqu'un m'abandonne, sérieusement, ce Daniel était dangereux pour ma santé mentale, mais aussi étrange que cela puisse paraître, j'aimais ça). J'étais content et satisfait qu'il le prenne ainsi.

L'alcool et la drogue n'avaient pas été d'un effet très rafraichissant pour mon ami. Il avait l'air épuisé et je fus soulagé qu'il accepte ma proposition. Le savoir prendre la voiture dans cet état, ou ne serait-ce que rentrer à pieds m'aurait inquiété et je n'aurais pas pu fermer l’œil. Il allait dormir confortablement et paisiblement ici avant de partir quand il le voudrait et quand il se sentirait bien. De toute façon, Chris était habitué à voir des humains sortir de ma chambre en pleine journée pour rentrer chez eux et même si cette fois ce n'était pas pour les même raisons, il ne poserait pas plus de questions méfiantes sur le pourquoi du comment. Daniel serait tranquille. De façon autoritaire, celui-ci réquisitionna le canapé et je me levais pour le débarrasser de sa guitare et aller les poser dans un coin de la pièce.

Quand je me retournais je me figeais une seconde en voyant Daniel en train de se débarrasser de sa chemise pour la laisser tomber non loin. Je souris légèrement en secouant la tête pour chasser quelques idées saugrenues. J'allais dans une armoire farfouiller un peu et en tirer un plaid vieux et délavé et complètement poussiéreux. La honte. Je n'allais pas lui donner ça pour se couvrir quand même. A vrai dire, quand des humains dormaient dans ma chambre, ce n'était pas pour dormir dans le canapé et je n'avais pas pensé à m'équiper pour ce genre d'occasion. Je pestais un peu contre moi-même avant de ré-enfourner la couverture moisie dans le placard, dernière étagère, de quoi l'oublier. Je me tournais alors vers Daniel avec un sourire gêné.

« J'suis pas vraiment équipé...si t'as pas peur de dormir à côté d'un corps mort, le lit est confortable aussi. Sinon...euh...je te passe la couverture du lit, c'est pas que j'en ai grand besoin... »

Je ris légèrement. A vrai dire, elle me servait à me cacher un peu mieux des rayons du soleil mais la pièce ne comportait qu'une petite lucarne pour l'atmosphère de la pièce et de gros rideaux encadraient mon lit pour m'en protéger aussi. Je suppose que me passer de ma couverture ne serait pas dangereux même si je n'avais jamais essayé. Mais de toute façon je voyais mal Daniel venir dormir à côté de moi. Je commençais donc à ôter la couverture pour pouvoir en faire profiter Daniel. Bon. Dès le lendemain soir, j'irais me procurer une couverture et des coussins supplémentaires pour les invités du canapé. Voilà. Cela éviterait toute situation gênante.