J'avais à peine la couverture dans les bras que je sentis la main de Daniel se poser sur moi pour m'arrêter. Je tournais les yeux vers lui avec un petit sourire qui devait paraître étonnement innocent sur mon visage d'adolescent. Dormir avec un corps mort ne le gênait pas et il n'avait pas l'air vraiment gêné. Enfin peut-être qu'entre l'alcool, la drogue et mon sang, il n'était pas forcément dans son état normal. N'empêche qu'il était conscient de ce qu'il faisait, ça ça ne faisait aucun doute et j'étais bien le dernier qui le repousserait, il le savait aussi. Il ne fallait pas tenter le diable, car il savait aussi mon faible pour la chair. Le sourire qu'il m'adressa termina de chasser mes doutes sur la question, s'il n'avait rien derrière la tête alors le diable de la tentation dans la pièce n'était certainement pas moi. Sa main restait sur mon bras comme une demande en elle-même et je la regardais un instant avant de lever les yeux vers lui.

Les questions de morales ou d'éthiques, je n'en avais jamais eu. Pour moi, tout pouvait très bien se mixer sans crainte. Daniel était le premier pour qui j'avais respecté ses volontés sans forcer, sans demander. Sage ? On peut dire ça comme ça, même si cet adjectif ne me qualifiait pas vraiment. Et s'il me restait une once de volonté pour le repousser (encore aurait-il fallut que je le veuille) son regard termina de m'achever. Oh bien sûr, ce n'était pas ce soir que je remarquais à quel point il était un humain beau. Mais cette fois, cela signifiait quelque chose d'autre. Ce regard là. J'étais presque pétrifié si cela avait été possible. S'il attendait que je le repousse, il serait déçu. J'espérais juste que ce n'était pas une épreuve qu'il tentait de me faire passer avec je ne sais quel vice.

Il rejeta la couverture sur le lit et sa main vint contre ma nuque, ma mâchoire. Je le regardais toujours, jusqu'où irait-il si c'était une blague ? Est-ce que je rêvais déjà ? Mais je n'eus pas le temps de me poser plus de questions. Ses lèvres se scellèrent aux miennes avec une vivacité qui me désarma. Je réagis néanmoins après quelques secondes pour lui rendre avec vigueur, fermant les yeux et glissant mes mains à sa taille, resserrant mon étreinte comme pour m'approprier déjà son corps. L'envie qui me dévorait depuis tant de temps n'avait plus de barrière et ce fut avec plus de force que je n'aurais cru que je le repoussais sur le lit avant de venir contre lui.

« Tu devrais pas me tenter comme ça...tu sais que je ne peux pas résister, surtout si c'est toi. »

Je pris encore ses lèvres entre les miennes, je n'en avais pas assez et je ne savais pas si j'en aurais un jour assez. L'impression étrange de ne pas être le seul maître de la situation m'envahit alors. C'était la première fois. La plupart des hommes qui se retrouvaient dans ce lit avaient mon âge et tout naturellement je me sentais supérieur tout comme c'était le cas avec les femmes. Mais c'était différent cette fois. Je souris légèrement avant de glisser une main le long de son torse avec une lenteur diabolique. Seulement je voulais profiter de cette occasion pour connaître de lui ce que je ne connaissais pas encore. Sa peau, le grain de sa peau...fine et lisse, pas d'imperfection, aucune. Même à 33 ans. A quoi aurais-je ressemblé moi, à 33 ans ? Je souris un peu en glissant mes lèvres dans son cou. Pas question de morsures maintenant, il était assez fatigué comme ça.

« Tu comptes pas m'arrêter maintenant ? Ce serait cruel de ta part... »

C'était étrange comment parfois les choses ne tournaient pas comme on l'avait programmé. Oh je ne parle pas de bien ou de mal. Juste de surprise. Et c'était pour ça que j'aimais être encore « en vie » au jour d'aujourd'hui. Quelle que soit la situation, la « vie » surprenait toujours, même le plus mort des vampires. Quoique, pour un vampire, je vivais plutôt sans me priver que me reclure dans un sanctuaire vide, sale et poussiéreux, attendant qu'un humain passe pour ma survie. Non je m'étais aménagé une vie après la vie qui ressemblait à un petit paradis. Mon paradis. Et cette nuit, c'en était peut-être l'extase que j'attendais depuis longtemps. J'avais repoussé ce désir pour Daniel si longtemps par peur de l'effrayer que j'en étais venu à me persuader qu'il me voyait comme un ami, un frère et rien de plus. Mais je découvrais maintenant que son comportement n'avait pas été différent du mien. Lui aussi avait repoussé des désirs auxquels il ne voulait pas succomber. Sa raison à lui ? Je ne la connaissais et même si j'étais curieux, ce n'était pas le moment de me poser la question.

Et lorsque Daniel fit rencontre nos bassins, il aurait fallut un tank pour m'empêcher de lui donner tout ce qu'il voulait. Il s'offrit entièrement à moi comme un cadeau qu'il me faisait mais qu'il avait envie que je déballe plus tôt que ça. Nous avions tellement attendu que le résultat fut loin d'être décevant. Bien au contraire. Il savait jouer autant que je le faisais. Il me torturait parfois avant de me délivrer. Je faisais de même, l'aimant comme je n'avais encore jamais aimé un autre humain. Comment combiner douceur et fermeté, je ne savais pas mais je le faisais instinctivement avec lui. Cette nuit serait pour nous deux inoubliable et il serait difficile de ne pas être encore tenté la prochaine fois que nous verrions. Accepterait-il seulement ce changement de relation ? Il aurait toute la journée pour y réfléchir et j'attendrais sa sentence avec impatience.

Il s'offrit deux fois à moi et je m'offris une fois à lui avant que le sommeil ne s'empare de lui. J'embrassais une dernière fois ses lèvres. Je ne voulais pas qu'on parle de ce qui venait de se passer maintenant, je savais que cela avait été un moment exceptionnel et je le pris contre moi pour l'enlacer avant qu'il ne s'endorme, remontant la couverture sur lui pour préserver sa santé et qu'il n'attrape pas mal. Me voilà devenu protecteur, je levais les yeux au plafond un instant avant de les reposer sur Daniel. Mais ce n'était qu'avec lui, heureusement. J'attendis qu'il s'endorme avant de le reposer un peu plus loin de moi. Se trouver entre les bras d'un mort n'était pas très agréable et je finis par m'assoupir moi-même, emporté par le sommeil diurne lourd et sans rêve des non-morts.